La première attaque au gaz d'Ypres hante les mémoires depuis 100 ans

Il y a 100 ans, un nuage de chlore s'insinuait dans les tranchées alliées près d'Ypres, en Belgique. La première utilisation d'une arme chimique provoquait la mort immédiate dans d'atroces souffrances de centaines de soldats, et marquait l'Histoire à jamais. Des commémorations de ce qui reste un des symboles de l'horreur de la Première guerre mondiale sont organisées mercredi en Flandre, en présence notamment du roi Philippe.

Le 22 avril 1915, l'attaque fit 1.500 morts sur le coup. Cette arme imaginée par l'Allemagne pour rompre plusieurs mois de face-à-face sanglant, échoua à briser la ligne de défense établie par les Belges, les Français et les Britanniques. Mais elle inscrivit dans les mémoires l'image de soldats étouffant, puis de jeunes hommes gravement handicapés ou de fantômes aux visages cachés par des masques à gaz.

"J'ai vu un nuage de couleur verte, haut d'environ 10 mètres et particulièrement épais à la base, qui touchait le sol. Ce nuage avançait vers nous, poussé par le vent. Presque aussitôt, nous avons littéralement suffoqué", a décrit le lieutenant français Jules-Henri Guntzberger.

Les gaz terrorisent les combattants. Pris de panique, aveuglés, asphyxiés, ils meurent par milliers dans d'atroces souffrances. "L'impact sur les hommes a été terrifiant", rappelle Robert Missinne, un historien local. "A partir de là, pour chaque soldat, la guerre changea à jamais puisque la peur guettait. A chaque instant, quelque chose que l'on ne pouvait gérer pouvait arriver".

C'est Fritz Haber, un chimiste allemand, qui inventa le conditionnement pour usage militaire du chlore. Il "considérait le chlore comme une ‘option humaine’. Si des soldats le voyaient arriver, ils partiraient en courant et cela allait raccourcir la durée de la guerre", explique Franky Bostyn, historien au ministère belge de la Défense.

L'attaque est intervenue en effet à un moment où les belligérants cherchaient désespérément à sortir de l'impasse de la guerre des tranchées. Les deux camps vont perfectionner l'arme chimique tout au long de la guerre, mais elle ne s'imposera jamais vraiment, car elle reste risquée pour ceux qui l'utilisent. Et les parades se développent: aux mouchoirs mouillés que les soldats s'appliquent sur le visage lors des premières attaques succèdent bientôt lunettes de protection et premiers masques en toile.

'Méthode de guerre barbare'

"C'était un test. Le haut commandement allemand n'y croyait d'ailleurs pas trop. Ils le voyaient comme une expérience", raconte M. Bostyn. "Si cela marchait, très bien, sinon, ils tenteraient autre chose". "Autre chose", comme le phosgène puis, à partir de 1917, le gaz moutarde, rebaptisé "ypérite", du nom de la ville d'Ypres, où il fit également son apparition pour la première fois.

La Première guerre mondiale favorisera d'autres innovations : avions de combat, chars, sous-marins: les pays en guerre se sont livrées de 1914 à 1918 une farouche course à l'innovation technologique pour développer les armes les plus meurtrières, à l'image des terribles gaz de combat qui symbolisent le conflit.

Ironie de l'histoire, les Allemands doutaient tellement de l'efficacité du chlore quand ils ont lancé leur première attaque qu'ils n'avaient pas massé assez de troupes pour pouvoir profiter de la percée et s'engouffrer en direction des ports stratégiques de la Manche.

Paris ou Londres se sont empressés de dénoncer l'attaque d'Ypres "comme une méthode de guerre barbare", rappelle M. Missinne. "On utilise du gaz pour tuer des rats, pas des gens!"

Mais les Alliés ont vite appris. "Les Allemands ont été les premiers à empoisonner l'ennemi. La propagande alliée a exploité cela, même s'ils ont fini par faire la même chose", note Timo Baumann, historien de l'Université de Düsseldorf.

Les Alliés ont finalement gagné le conflit après une guerre d'usure qui fit près de 10 millions de morts militaires.

Imprévisibles, dangereux pour les deux côtés puisqu'un vent changeant pouvait transformer les attaquants en victimes, les gaz ont finalement été responsables de moins de 1% des pertes.
Mais cette arme de terreur a marqué l'imaginaire collectif, et explique aujourd'hui encore la mobilisation internationale, dans les années 1980 pendant la guerre entre l'Irak ou l'Iran, ou récemment après les attaques chimiques du régime de Bachar al-Assad contre sa propre population en Syrie.

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