Affaire de Louvain: prélude d’un mai 68 aux revendications flamandes

Il y a 50 ans jours pour jour éclatait la contestation "Leuven Vlaams" (Louvain flamande), une lutte en faveur de la scission linguistique de l’Université catholique de Louvain. Alors qu’en France, l’année 1968 allait mener à un véritable soulèvement estudiantin aux allures révolutionnaires, la mouvement de grogne à Louvain allait davantage se jouer dans le cadre d’une émancipation flamande.

A l’origine, l’Université catholique de Louvain (Brabant flamand) était constituée d’une section néerlandophone et d’une section francophone, toutes deux placées sous une même direction. En octobre 1962, alors que la frontière linguistique est établie, l’université se retrouve officiellement en territoire flamand, mais demeure bilingue.

A cette époque, le nombre d’étudiants ne cesse d’augmenter, avec l’inscription notamment de nombreuses jeunes femmes. Un élargissement est alors décidé, à travers l’implantation de nouveaux campus à Wavre et à Woluwe. Le nouvel hôpital universitaire de Saint Luc (Woluwe-Saint-Lambert) voit le jour. De plus en plus de Flamands commencent à craindre que le Brabant flamand ne devienne entièrement bilingue.

"Le Grand Bruxelles"

En 1965, l’administrateur francophone de l’université, Michel Woitrin, jette de l’huile sur le feu en annonçant que les trois campus de Louvain, Wavre et Woluwe formeront dans 20 ans "le Grand Bruxelles". L’idée de ce triangle francophone engendra chez beaucoup de Flamands la crainte d’un élargissement de Bruxelles et d’une francisation de cette partie de la Flandre.

En mai 1966, les évêques, qui détiennent alors encore le pouvoir sur l’institution, décident de commun accord que l’université de Louvain resterait unie. Chaque section linguistique obtiendrait toutefois plus d’autonomie. Les Flamands sont mécontents : la grogne prend dès lors l’allure d’un mouvement anti-catholique.

Les Wallons (et les bourgeois) dehors

Début 68, la tension est à son comble. Un important mouvement de protestation est lancé. Les étudiants flamands scandent les slogans "Leuven Vlaams" (Louvain flamande), "Walen buiten" (les Wallons dehors) et "Waalse ratten rol uw matten" (Rats wallons, pliez bagage). Des paroles qui heurtent évidemment la communauté visée. Ce qui est toutefois moins souvent évoqué, c’est que outre les Wallons, cette protestation s’opposait également avec vigueur à la bourgeoisie francophone de Flandre.

Le 15 janvier, alors que la section francophone déclare qu’elle restera sur le territoire, les étudiants flamands descendent massivement dans les rues. Les meubles et les documents du rectorat sont brûlés, des cours sont sabotés. Les manifestations se multiplient, malgré les interventions musclées des gendarmes et des policiers. Des étudiants sont arrêtés, mais l’insurrection gronde : "la protestation démocratique est devenue impossible. Nous devons donc changer de moyens", lancera notamment Paul Goossens, l’un des leaders du mouvement. Dans la foule, la démission du Premier ministre est exigée.

Une scission inévitable

Alors que les évêques se rendent compte que leur mandement de 1966 était une erreur, le gouvernement de Paul Vanden Boeynants tombe le 7 février 1968, suite à l’interpellation parlementaire de Jan Verroken (CVP/PSC). Le chef de groupe des chrétiens démocrates, dévoile dans la foulée une profonde division communautaire au sein plus grand parti de la coalition sur la question de Louvain.

La scission est inéluctable. Quelques jours après la chute du gouvernement, les évêques annoncent que l’unité géographique de l’université n’est plus un point de rupture. Après des élections anticipées, la nouvelle coalition, menée par Gaston Eyskens, intègre à son programme la volonté d’une scission.

L’Université catholique de Louvain sera officiellement scindée en 1970. Un an plus tard, la première pierre du nouvel édifice francophone est posée dans la commune d’Ottignies, un déménagement qui entraînera la création d’une nouvelle ville : Louvain-la-Neuve. Il faudra attendre 1979, et une longue querelle sur la bibliothèque centrale, avant que l’intégralité des activités francophones ne soit transférée.

Des conséquences pour tout le pays

Au final, la scission de l’université de Louvain aura profondément marqué l’histoire communautaire du pays. Elle engendrera en effet la séparation linguistique des principaux partis du pays, et l’émergence de certaines formations politiques communautaristes. L’évènement sera aussi l’un des déclencheurs de la réforme institutionnelle de 1970, qui mènera à la fédéralisation de l’Etat belge.

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