Comment se passe la collaboration entre la VRT et la RTBF ?

Boulevard Reyers, 52, Bruxelles. Une adresse, deux médias. Après l’entrée principale, un long couloir : à gauche, la VRT, à droite, la RTBF. Cette passerelle est-elle tout ce qui reste en commun entre les médias publics francophones et néerlandophones de Belgique ?

"Quand je compare le journal télévisé de la RTBF à celui de la VRT, les thèmes abordés y sont souvent différents, c’est un monde parallèle", lance Ivan De Vadder, journaliste politique à la VRT. Comparons par exemple les titres des JT de la VRT (19h) et de la RTBF (19h30) de ce 27 décembre.

Du côté francophone, la RTBF fait sa une avec la polémique autour de Theo Francken (N-VA) et le renvoi de Soudanais. Avec le sous-titre "la majorité est coincée", la RTBF interviewe Gérard Deprez (MR) qui émet de vives critiques à l’encontre du secrétaire d’État à l’Asile et à la migration. La VRT entame quant à elle son JT avec une vidéo sur les dangers des vélos speed pedelecs à la suite d’un accident mortel dans le Brabant flamand. Il faudra attendre 12 minutes 30 avant de parler de Theo Francken, avec comme sous-titre : "L’Open VLD et le CD&V soutiennent Theo Francken." L’exemple est parlant.

"Prisonnier de sa propre communauté"

Les sujets communs aux deux journaux télévisés ont souvent trait à la politique fédérale. "Même si la politique fédérale est en général toujours couverte par les deux, j’ai remarqué qu’une citation au JT du soir à la VRT va arriver à la RTBF, mais toujours avec un décalage plus ou moins long", explique Jean-François Herbecq, éditeur du site RTBF info qui a travaillé 19 ans à la VRT.

C’est une autre histoire pour les sujets communautarisés ou régionalisés comme l’enseignement, la politique sociale, la mobilité. Ces thèmes sont rarement abordés, s’ils se passent de l’autre côté de la frontière linguistique. Et c’est logique selon Ivan De Vadder : "On est prisonnier de notre communauté, c’est très difficile d’en sortir. On y vit, on regarde la télévision et les journaux. Souvent, on n’a pas les mêmes sensibilités que les autres."

Joyce Azar, chroniqueuse à la RTBF et journaliste à la VRT, illustre ces différences de perception : "En général, les sorties de Theo Francken choquent beaucoup moins les médias flamands que les médias francophones, sans parler des questions comme le survol de Bruxelles, la fusion des zones de police à Bruxelles pour ne citer que quelques exemples…"

Plus d’intérêt lors de crises politiques

L’intérêt pour l’autre communauté croît néanmoins fortement quand il y a une crise politique ou à l’approche des élections. Par exemple, la VRT a traité la décision du cdH de ne plus gouverner avec le parti socialiste au gouvernement wallon. "On en a parlé, mais pas comme s’il s’agissait d’un parti néerlandophone. Il y a vraiment une différence, c’est un autre pays," ajoute Ivan De Vadder (cf. photo).

Lors d’événements marquants, les journalistes qui maîtrisent les deux langues, à l’instar de Johanne Montay pour la RTBF ou d’Ivan De Vadder pour la VRT, vont participer à des débats pour expliquer la perspective de sa communauté. "Souvent, quand je suis invité à des débats à la RTBF ou à RTL, on me demande d’être "le Flamand de service". Or, même si on représente une communauté, il existe des nuances : il y a aussi une opposition et une majorité en Flandre. Ces nuances disparaissent dans ce type de débat," regrette le journaliste politique de la VRT.

Les dirigeants politiques sont quant à eux plus frileux à venir s’expliquer sur les plateaux de télévision dont le public ne constitue pas leur électorat. À l’image de cette "interview de 300 mètres" de Paul Magnette dans le couloir qui relie la VRT et la RTBF. On y voit Pieterjan Desmet, journaliste à la VRT, essayer d’interviewer en vain l’ancien ministre-président wallon, Paul Magnette (PS), qui se rend dans les studios de la RTBF.

"La RTBF, c’est l’étranger"

Avant, il existait de part et d’autre des émissions télévisées sur l’autre communauté à l’instar de « Vu de Flandre » (RTBF) et « Taalgrens » (VRT), toutes deux présentées par Christophe Deborsu. Ce type de programmes a complètement disparu des grilles de la VRT alors qu’à la RTBF, quelques chroniques radio continuent de traiter l’actu de l’autre côté du pays.

L’intérêt des francophones pour la Flandre est-il dès lors plus important que l’intérêt flamand pour la Belgique francophone ? "C’est l’impression que j’ai, mais je ne peux pas l’établir scientifiquement", réplique Joyce Azar. "Je ne sais pas, je n’ose pas répondre. On peut difficilement le mesurer si on ne le propose pas", réagit, quant à elle, Inge Vrancken, responsable du JT à la VRT.

Pour Ivan De Vadder, "la RTBF, c’est l’étranger. Non pas dans la relation avec l’autre, mais dans le choix des sujets et la manière dont on les traite." Et vice-versa : la RTBF va par exemple accorder souvent plus d’importance à une actualité du gouvernement français qu’à une nouvelle au gouvernement flamand assure Jean-François Herbecq : "Une actualité au gouvernement flamand, c’est traité comme une actualité du gouvernement luxembourgeois."

Deux organismes autonomes

Cette distanciation dans le choix des thèmes traités peut entre autres s’expliquer par l’autonomie accordée aux deux services publics qui ne formaient qu’un auparavant. Petit retour en arrière : en 1970, le monde politique belge décide de transférer la compétence de l’audiovisuel aux communautés dans le cadre de la première réforme de l’État. La RTB-BRT devient alors deux entités autonomes qui porteront respectivement le nom de « RTBF » à partir de 1977 et de « VRT » à partir de 1998.

Cinquante ans après la séparation, la collaboration structurelle entre les deux médias est limitée. Ils siègent ensemble dans le cadre de l'Union Européenne de Radio-Télévision (UER), partagent leurs images et les sons des journaux gratuitement et gèrent encore le même bâtiment : "La VRT s’occupe par exemple du chauffage et la RTBF de la climatisation", explique Jean-Pierre Jacqmin, le directeur de l’information de la RTBF. Mais, c’est à peu près tout.

Collaboration sur le terrain

Il n’existe pas de réunions systématiques entre les chefs de l’information. Ce qui ne les empêche cependant pas de coopérer étroitement dans le cadre de projets spécifiques, tels que les Jeux olympiques, les commémorations des attentats du 22 mars ou les sondages sur les élections fédérales.

"Pour les grands dossiers, on collabore plus intensément, mais dans le travail quotidien, cela se passe surtout au niveau des journalistes, en particulier ceux des départements justice et politique", déclare Inge Vrancken (cf. photo). Les équipes de tournage francophones et néerlandophones travaillent ensemble sur le terrain, notamment quand elles doivent couvrir des réunions politiques au 16, rue de la loi. Si une équipe suit le Premier ministre, elle va d’abord l’interviewer dans sa langue et puis éventuellement dans l’autre si les confrères ne sont pas sur place.

En cas de mission ministérielle à l’étranger, les deux rédactions s’organisent. "Couvre-t-on l’événement ou pas ? La RTBF y va-t-elle ? Avant, nous envoyions tous les deux un journaliste et seulement un caméraman, parce les ingrédients de base du travail journalistique sont similaires, même si après nous les adaptons à notre sauce", raconte la cheffe du JT de la VRT.

Multiples barrières

Outre l’autonomie de chacun, plusieurs obstacles se dressent sur le chemin d’une coopération plus étroite entre RTBF et VRT. Le temps disponible en est le plus grand. "Il y a clairement une barrière au niveau du temps que nous prenons à faire notre propre information", indique Jean-Pierre Jacquemin (cf. photo). Propos confirmés par Inge Vrancken : "Notre service d’info à la VRT est déjà tellement grand ! C’est déjà si difficile de communiquer tout entre nous : TV, radio, online. Alors si on doit inclure la RTBF…"

Tous deux assurent néanmoins qu’en cas de besoin, ils peuvent contacter les collègues de l’autre côté du bâtiment. "Quand on doit se voir, on se voit et on s’entend", affirme le chef de l’info de la RTBF.

La langue reste également un obstacle. "Non pas que les journalistes ne parlent pas la langue de l’autre, mais nos communautés n’ont pas renforcé leur apprentissage de la langue de l’autre : elles se sont davantage tournées vers l’anglais", constate Jean-Pierre Jacqmin. Même si ce problème est en grande partie révolu lors des réunions entre représentants médiatiques francophones et néerlandophones selon Inge Vrancken : chacun parle sa langue maternelle.

Pour Jean-François Herbecq, le peu d’intérêt accordé à l’autre côté s’explique par une "sorte de paresse" : "Les journalistes ont l’habitude de surveiller leur pré carré, leur communauté linguistique et ne font pas l’effort intellectuel de se dire : "comment font-ils de l’autre côté ?""

Et puis, il reste l’aspect politique : les entités fédérées acquièrent de plus en plus de compétences, les domaines en commun s’amenuisent. "Cela engendre un regard moins intéressé sur ce qui se passe de l’autre côté, c’est indéniable," explique Jean-Pierre Jacqmin. Selon lui, les dirigeants politiques flamands ou wallons n’ont pas non plus intérêt à prendre des risques auprès de l’autre communauté : "Karel De Gucht m’a dit une fois "je n’ai aucun intérêt à venir chez vous : mes électeurs ne vous écoutent pas et ils n’entendront revenir quelque chose que si je me trompe ou si je réponds mal à une de vos questions.""

Quel avenir ?

D’ici 2020, les deux médias vont déménager à quelques centaines de mètres dans deux bâtiments séparés dans le nouveau quartier MediaPark (cf. photo). Les personnes interrogées dans le cadre de cet article estiment toutes que ce déménagement ne changera pas la manière dont les deux médias collaboreront.

Si cela devait changer, la décision appartiendrait aux responsables politiques, et non aux médias, estime Ivan De Vadder : "Nous n’avons pas comme mission de remettre la Belgique ensemble ou de refaire un seul espace d’opinion publique, il n’existe pas. Il y en a bel et bien deux."

Pour Jean-Pierre Jacqmin, les relations entre la VRT et la RTBF restent "un partenariat privilégié" et il faut veiller à ce que les distances ne se creusent pas davantage en précisant : "Ce n’est pas à nous de décider de l’avenir de ce pays, nous n’en avons pas la légitimité. Nous devons essayer de garder un regard respectueux mais critique que ce soit chez nous comme chez eux."

Inge Vrancken estime, quant à elle, qu’il faut garder une "vision globale" de ce qu’il se passe dans toute la Belgique. "C’est pour ça qu’on doit suivre tout ça de près et la première chose pour ce faire, c’est prendre contact avec les collègues de la RTBF." Avant de conclure : "Comment améliorer les relations entre les journalistes de la RTBF et de la VRT ? Aller plus souvent ensemble boire un verre au café, ça aiderait !"

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