Little Life : les jouets évoquent la vie domestique d’antan

La Porte de Hal, à Bruxelles, propose jusqu’en novembre 2018 une étonnante exposition qui plonge le visiteur dans le monde magique des maisons de poupées des années 1850 à 1920 réservées aux enfants des classes aisées. Ces miniatures témoignent de la vie domestique des milieux bourgeois du milieu du 19e au début du 20e siècle, grâce à la collection des Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles (MRAH) et aux prêts des Musées du Jouet de Bruxelles et de Malines et du Musée de la Vie wallonne de Liège. Partiellement interactive, l’exposition a pris forme autour d’une maison de poupée construite à la fin du 19e siècle par l’ingénieur-électricien Jules Charlier sur le modèle de sa propre maison à Etterbeek. Le précieux jouet fut offert en 1941 aux MRAH.

Dès le milieu du 19e siècle, une industrie du jouet à grande échelle se développa en Allemagne. Le jouet devint ainsi moins cher et trouva un marché auprès de la bourgeoisie, qui préférait les jouets éducatifs. Elle considérait que la vie quotidienne est source inépuisable d’inspiration pour les jeux, et notamment la vie domestique, qui permet aux fillettes d’apprendre leur futur rôle d’épouse, de mère et maîtresse de maison. L’exposition à la Porte de Hal présente donc six grandes maisons de poupée merveilleusement conservées ou rénovées, des meubles, des cuisinières et des services de table miniatures fabriqués dans les années 1850 à 1920 en Allemagne, en France et en Angleterre notamment.

Dans une atmosphère feutrée, "Little Life" parcourt les différentes pièces de la maison - du salon à la salle de bain -, permettant ainsi au visiteur de découvrir l’habitat bourgeois des siècles passés et sa progressive modernisation. On entre d’abord dans le salon, espace luxueux où la bourgeoisie du 19e siècle recevait les invités, pour afficher son statut social. Les maisons de poupée de l’époque traduisent cet idéal de luxe "qui restait cependant, pour 80% de la population, un rêve", précisait Linda Wullus, commissaire de l’exposition du MRAH.

L’une des pièces remarquables dans cette partie de l’exposition est le salon de poupée du fabricant de jouets français Victor-François Bolant (vers 1900), en bois clair et carton, qui peut être refermé comme une boîte. Il est encore dans son état d’origine, y compris une série de lettres miniatures (photo ci-dessus) qui rappellent que l’on ne se rendait chez autrui à l’époque que sur invitation.

La salle à manger gagna en importance au 19e siècle, alors que le noyau familial devenait central, et l’essor de la culture de la table se traduit par une multitude de services de table miniatures (pour les enfants, les poupées ou les maisons de poupée), réalisés par des fabricants de jouets mais aussi des manufactures de porcelaine - comme celle de Jean-Baptiste Cappellemans à Jemappes (photo) ou le Wedgwood anglais.

Apprendre son rôle de future maîtresse de maison

C’est en écrivant des invitations, en servant le thé dans de délicats services, mais aussi en s’activant aux fourneaux miniatures des cuisines de poupées que les petites filles de la bourgeoisie se formaient à leur rôle futur.

Il existait même des fourneaux plus vrais que nature (photo), permettant de cuire une soupe ou des crêpes avec une bougie, de l’alcool à brûler ou des charbons ardents. Les brûlures des enfants n’étaient d’ailleurs pas rares. Il faut dire que les catalogues de jouets très colorés (photo ci-dessous), édités notamment au milieu du 19e siècle par des grands magasins dans la ville bavaroise de Nuremberg auraient fait rêver n’importe quel enfant. Les commandes de jouets venaient d’ailleurs du monde entier.

Vers 1850, le réseau de distribution d’eau se développa à Bruxelles. On couvrit la Senne et installa un système d’égouts modernes. Les maisons furent progressivement équipées de tuyaux. L’arrivée de l’eau courante à domicile permit l’installation de chauffe-eaux au bois ou charbon. Pendant des décennies, la salle de bain resta cependant le privilège de foyers fortunés. Les maisons de poupée du 19e siècle possèdent donc surtout des bains mobiles ou des tables de toilette.

Le cabinet-maison de poupées anglais prêté par le Musée du Jouet de Malines - auquel il fut offert par des héritiers de la petite Ivonne Dheere qui s’installa en Belgique après la Première Guerre mondiale - possède d’ailleurs une salle de bain qui fut rajoutée postérieurement.

Les chambres se multiplient

Au 19e siècle, la chambre devint résolument un espace privé dans la maison. Plus question de recevoir des invités assis dans son lit ! L’idée d’une chambre d’enfant vient d’Angleterre. Elle trouve aussi sa concrétisation dans les maisons de poupée. Des lits pour les domestiques y apparaissent aussi. Ainsi le majestueux cabinet-maison de poupées Pommier (1900-1920) à 5 étages présenté dans l’exposition Porte de Hal contient une jolie chambre d’enfant (photo ci-dessus).

Cette maison datant de 1900-1920, toute en bois, métal, verre, textile et céramique, appartenait aux sœurs Ghislaine et Andrée Verneuil, dont le père dirigea de 1904 à 1914 l’hospice Roger Grimberghe à Middelkerke. Au début de la Grande Guerre, l’hôpital fut évacué et la famille s’installa à Bruxelles, laissant la maison de poupée au littoral. Les soeurs la récupérèrent incomplète après la guerre et parvinrent à lui redonner son apparence originale en achetant des meubles (photo ci-dessous).

"Il existait une véritable industrie de meubles de maisons de poupée depuis le milieu du 19e siècle", expliquait Linda Wullus. "Les enfants des classes aisées pouvaient s’acheter des meubles avec leur argent de poche".

La moitié environ de tous les objets exposés dans "Little Life" appartient aux collections des Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles, soulignait encore la commissaire de l’exposition. Et si cette exposition qui vient d’ouvrir ses portes à la Porte de Hal a pu prendre forme, c’est avant tout grâce à la minutieuse restauration d’une maison fabriquée autour de 1900 (photo) sur le modèle d’une habitation néoclassique d’Etterbeek. Elle fut donnée en 1941 aux Musées royaux d’art et d’histoire de Bruxelles par Marthe Combaz.

"Pendant quelques temps, elle fut exposée au Musée du Cinquantenaire, dans les salles consacrées au folklore national. Quand ces salles furent fermées, la maison de poupée atterrit dans les réserves du musée. C’est une spécialiste de la restauration de tableaux, passionnée aussi de maisons de poupée, qui réalisa la longue remise en état de la maison Jules Charlier", précisait encore Linda Wullus à la veille de l’inauguration de l’exposition.

Une maison construite par Charlier pour ses nièces

La maison de poupée qui évoque une maison de maître néoclassique à l’échelle 1 :10 fut réalisée autour de 1900 par l’ingénieur et électricien bruxellois Jules Charlier. D’après la donatrice, Marthe Combaz née Verhas, il s’est basé sur sa propre maison située à la rue Froissart, dans la commune bruxelloise d’Etterbeek. Une maison qui n’existe plus. Seule une photo de la façade subsiste. Jules et sa sœur Jeanne y passèrent une grande partie de leur adolescence, avant que la jeune femme n’épouse le chimiste George Verhas. C’est pour les enfants du couple que Jules Charlier, resté célibataire, construisit la maison de poupée.

L’ingénieur électricien y mit plusieurs années et une foule de détails, allant jusqu’à installer une vraie sonnette et de la lumière. Il laissa ses initiales brodées sur les draps et serviettes miniatures, installa un chauffe-eau dans la salle de bain, accrocha des estampes encadrées dans la salle à manger, déposa des journaux miniatures "La Belgique Financière" datés de 1902 dans le bureau. Une grande partie du mobilier fut confectionné avec des boites à cigares.

Répartie sur deux étages et trois travées sous un toit en bâtière, la maison dispose à l’arrière d’une cour couverte d’une verrière (photo). Le salon est de style néo-empire, avec lustre de cristal et rideaux de soie bouffants. La salle à manger comprend une cheminée à feu ouvert, la cuisine un dallage blanc à motifs bleus. Le premier étage héberge une grande chambre à coucher avec table de toilette (la salle de bain avec baignoire est à l’entresol) et le bureau, le second étage accueille deux petites chambres et un débarras. La maison se termine par une chambre de bonne et un grenier avec mezzanine et lucarnes.

Ce qui fait la beauté de cette maison de poupée est aussi le souci de réalisme dans la confection (par la maman de Jules Charlier ?) des éléments de textile, comme les rideaux, les stores, le linge de maison. Chaque lit dispose d’un matelas, d’oreillers, d’un dessous de lit, de draps et d’un couvre-lit ! Ce qui prouve bien que ces miniatures furent réalisées avec autant d’enthousiasme et d’amour qu’elles ne furent accueillies par les enfants auxquels elles étaient destinées au 19e et début du 20e siècle.

Pour les enfants, l’exposition prévoit d’ailleurs des activités ludiques et interactives, des lectures et bricolages, ainsi qu’une animation en 3D qui permet de se promener au rez-de-chaussée de la maison Jules Charlier.

"Little Life"

A voir jusqu’au 25 novembre 2018 à la Porte de Hal
Boulevard du Midi 150, à 1000 Bruxelles
Tél. +32 (0)2 534 15 18
www.portedehal.be 

Ouvert du mardi au vendredi de 9.30 à 17.00, samedi et dimanche de 10.00 à 17.00
Fermé le lundi et les 25/12, 1/01, 1/05, 1/11 et 11/11.

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