Bwana Kitoko et l’indépendance du Congo

Durant les dix premières années de son règne, le jeune roi Baudouin a été brusquement confronté aux transformations de la colonie belge. L’opposition de la population africaine se manifeste de manière de plus en plus visible contre l’autorité coloniale et les émeutes sont fréquentes.

Baudouin devient le cinquième roi des belges en 1950, alors qu’il n’a que 20 ans. Ce jeune homme triste et qui semble timide succède à son père Léopold III qui a abdiqué suite à l’affaire Royale.

En Belgique, le jeune roi est immédiatement apprécié par la population et au Congo, il en est de même.

En 1955, il accomplit une tournée triomphale dans la colonie, visitant toutes les régions du Congo belge. Au début surnommé Bwana Kitoko, (le beau jeune homme), le roi est partout accueilli chaleureusement par la population indigène.

Si les Belges ont réalisé des prouesses techniques au Congo, un pays 80 fois plus grand que la Belgique sur le plan de l'enseignement et de la formation, les lacunes sont énormes.

Contrairement à d’autres pays comme la France ou la Grande Bretagne qui avaient préféré former des élites, la Belgique avait privilégié l’enseignement pyramidal et si la population était à 60% alphabétisée, le Congo ne disposait pas de cadres susceptibles de gérer le pays après l’indépendance.

Dans les années 50, le Congo belge est à son apogée. La période après-guerre a entraîné une forte croissance économique. La politique coloniale belge suit deux voies : le développement économique et l’émancipation de la population congolaise.

Une émancipation très paternaliste : "le blanc savait ce qui était bon pour l’Africain".

L'indépendance devient inéluctable

Au début de l’année 1951, de graves émeutes éclatent à Léopoldville (Kinshasa).

Le 13 janvier 1951, le roi Baudouin proclame un discours important:

"Notre ferme résolution est de conduire, sans atermoiements funestes, mais sans précipitation inconsidérée, les populations congolaises à l'indépendance dans la prospérité et la paix".
Le mot est lancé.

Sous l’impulsion de Baudouin la situation de la population indigène va quelque peu s’améliorer.

Mais alors que Baudouin pense à une émancipation progressive de la colonie sur une période de 30 ans, le séminariste Joseph Kasavubu, leader du Bas-Congo rédige son propre manifeste, baptisé "le Manifeste de l’Abako", du nom du premier parti politique au Congo et réclame l’indépendance immédiate.

De la "table ronde" à l'indépendance

Finalement, le gouvernement belge décide convoquer une grande "table ronde" à Bruxelles, à laquelle participeront les principaux leaders congolais et des représentants politiques belges, y compris des membres de l'opposition, puisque c'est d'ailleurs un sénateur belge, Henri Rollin, qui présidera cette table ronde.

Les délégués congolais étaient entourés par une multitude de conseillers belges. Ces derniers avaient réussi à tous les réunir avant la conférence et de faire en sorte qu'ils présentent un front commun, y compris les deux rivaux, Joseph Kasavubu et Patrice Lumumba (photo). C'est donc d'une seule voix qu'ils allaient réclamer l'indépendance pour le 30 juin 1960.

Le discours royal du 30 juin 1960

Le 30 juin 1960, dans la grande salle du Palais de la Nation à Léopoldville, se déroule la cérémonie de proclamation de l’indépendance.

Le roi Baudouin prononce un discours au ton paternaliste dans lequel il rend hommage à son arrière grand-oncle Léopold II.

"L'indépendance du Congo constitue l'aboutissement de l'œuvre conçue par le génie du roi Léopold II, entreprise par lui avec un courage tenace et continuée avec persévérance par la Belgique. Elle marque une heure décisive dans les destinées non seulement du Congo lui-même, mais je n'hésite pas à l'affirmer, de l'Afrique tout entière. Pendant 80 ans, la Belgique a envoyé sur votre sol les meilleurs de ses fils, d'abord pour délivrer le bassin du Congo de l'odieux trafic esclavagiste qui décimait ses populations, ensuite pour rapprocher les unes des autres les ethnies qui, jadis ennemies, s'apprêtent à constituer ensemble le plus grand des États indépendants d'Afrique, enfin, pour appeler à une vie plus heureuse les diverses régions du Congo que vous représentez ici, unies en un même Parlement".

Et le roi de terminer son discours pas ces mots : "Peuple congolais, mon pays et moi-même, nous reconnaissons avec joie et émotion que le Congo accède ce 30 juin 1960, en plein accord et amitié avec la Belgique, à l’indépendance et à la
souveraineté internationale. Que Dieu protège le Congo".

L'assassinat de Patrice Lumumba

Le président Joseph Kasavubu répond avec diplomatie au roi Baudouin.

Le Premier ministre Patrice Lumumba (photo) prend alors la parole sur un tout autre ton. Il bouscule le protocole, trouble une image, qui se voulait sereine, de passation des pouvoirs.

Il prononce un discours résolument anticolonialiste qui plonge la délégation belge dans la consternation.

"Nous avons connu un travail harassant, exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers."

"Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des Nègres. Qui oubliera qu’à un noir on disait "tu" non certes comme à un ami mais parce que le "vous" honorable était réservé aux seuls blancs".

Moins d’un an après avoir prononcé ce discours Patrice Lumumba sera assassiné dans des circonstances encore mystérieuses. Transféré au Katanga dirigé par le sécessionniste Moïse Tshombe, grâce au concours de "conseillers belges en poste à Léopoldville ", Patrice Lumumba y fut exécuté.

Une Commission d'enquête du Parlement belge a conclu en 2001 à la "responsabilité morale" de certaines autorités belges dans l'assassinat du premier ministre congolais. Cette Commission a également évoqué le rôle équivoque du roi Baudouin. D'après elle, le chef de l'Etat n'aurait pris aucune initiative lorsque lui est parvenue l'information selon laquelle la vie de Patrice Lumumba était en danger.

Baudouin et Mobutu

Après des années d’instabilité, la prise de pouvoir de Mobutu , en 1965, est assez bien accueillie en Occident et même en Belgique qui voit s’éloigner le "danger" d’une mainmise communiste sur son ancienne colonie.

Après l'accession au pouvoir de Mobutu, qui s’est autoproclamé président de la République, le roi Baudouin se rendra encore plusieurs fois au Congo, devenu Zaïre.

Au début, une certaine complicité uni les deux hommes.

En 1970, le roi assiste aux cérémonies du dixième anniversaire de l'indépendance, mais les rapports entre les deux pays se détériorent.

En 1985, le roi Baudouin revient une dernière fois au Congo, toujours pour les festivités du 30 juin. Il n’y retournera plus. Les relations entre la Belgique et son ancienne colonie sont au plus bas et vont dégénérer en véritable rupture.

En 1993, Mobutu fut le seul chef d’État à ne pas avoir été invité aux funérailles du roi Baudouin. Même par-delà sa mort Bwana Kitoko se vengeait sur celui qui avait dilapidé l’héritage de son  arrière-grand-oncle Léopold II.

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