Qu’en est-il de l’énergie nucléaire en Belgique?

Avec leurs 7 réacteurs, les centrales nucléaires de Doel (Flandre orientale) et de Tihange (province de Liège) produisaient en 2010 quelque 51% de l’électricité en Belgique. Les plus anciens réacteurs - Doel 1 et 2 et Tihange 1 -, mis en service en 1975, devraient être fermés en 2015 alors que les 4 autres devraient être éteints en 2025, selon la loi de 2003 qui prévoyait une sortie progressive du nucléaire. Mais en 2009, le gouvernement fédéral prévoyait de prolonger de 10 ans la durée de vie des 7 réacteurs, vu le manque d’énergie verte en quantité suffisante. En raison de la crise politique, le Parlement n’a pas encore approuvé cette modification. Mais la Belgique pourrait-elle se passer totalement d’énergie nucléaire ? La réponse du journaliste flamand Luc Pauwels (VRT), spécialiste en matière d’énergie, dans une interview accordée à nos collègues Uta Neumann et Colin Clapson.

La catastrophe nucléaire de Fukushima, à la suite du séisme et du tsunami qui lui a fait suite au Japon en mars dernier, a relancé le débat dans le monde sur les dangers de l’énergie nucléaire et la façon dont nombre de pays sont devenus dépendants de l’électricité produite par leurs centrales. En Belgique, 51% de l’électricité provient des centrales nucléaires de Doel et Tihange et notre pays importe en outre 15% d’électricité de l’étranger. Alors que les sources d’énergie renouvelable n’ont pas été assez exploitées ces dernières années pour permettre à notre pays de remplacer la production de ses centrales nucléaires, le gouvernement semble suspendre sa décision sur une sortie progressive du nucléaire entre 2015 et 2025, notamment en faisant effectuer des tests de résistance de ses centrales.

Luc Pauwels : « Légalement, nous nous trouvons dans une sorte de vide à l’heure actuelle. En 2003, le gouvernement belge a décidé de fermer tous les réacteurs dès qu’ils auraient été en activité pendant 40 ans, ce qui veut dire que les 3 plus anciens devraient être fermés en 2015 et les 4 plus modernes en 2025. Mais on a vite réalisé que la Belgique ne pouvait produire d’une autre manière suffisamment d’électricité, et le gouvernement s’est donc mis d’accord en 2009 de maintenir les centrales en activité pendant 10 ans supplémentaires. Mais au printemps 2010, le gouvernement d’Yves Leterme est tombé et le Parlement n’a encore pu approuver la modification de loi. Nous nous trouvons donc encore toujours dans la situation de 2003, alors que le gouvernement aurait voulu prolonger la vie des centrales nucléaires ».

Pensez-vous que la prolongation de vie de nos centrales sera finalement approuvée ?

Luc Pauwels : « Je pense que oui. Le nouveau gouvernement décidera de garder les centrales nucléaires plus longtemps en activité. Même si les partis écologistes faisaient partie du prochain gouvernement. Ils sont en effet d’avis qu’il est possible de fermer les trois plus vieux et plus petits réacteurs et de remplacer leur production par d’autres sources d’énergie, mais ils admettent qu’il n’est pas possible, à l’heure actuelle, de fermer toutes nos centrales d’ici 2025. Je suis donc certain que nous conserverons de l’énergie nucléaire dans le futur ».

La prolongation de vie des centrales était liée à une rente nucléaire dont devaient s’acquitter les exploitants des centrales, et donc essentiellement Electrabel.

Luc Pauwels : « Les exploitants doivent déjà payer 250 millions d’euros par an à l’Etat. Le débat qui fait rage actuellement au Parlement est de savoir si Electrabel (qui possède 85% des réacteurs) devrait payer nettement plus en compensation de la prolongation de vie de ses centrales et des bénéfices que l’entreprise réalise avec la vente de l’énergie nucléaire ».

Quelque 51% de l’électricité produite en Belgique vient des centrales nucléaires. Ce pourcentage est-il stable ?

Luc Pauwels : « En fait, il a diminué au fil des ans. Mais nous restons, après la France et la Slovaquie, le pays le plus consommateur d’énergie nucléaire en pourcentage. Vers 1986, lorsque toutes nos centrales étaient en pleine activité, quelque 80% de notre électricité provenaient des 7 réacteurs. Mais notre économie a pris de l’ampleur, nous avons eu besoin d’électricité et d’énergie supplémentaire, nous avons alors construit des turbines à gaz et des sources alternatives d’énergie. Le pourcentage de l’énergie nucléaire a donc diminué. Mais très progressivement ».

La Belgique fait-elle des progrès actuellement en matière de sources alternatives et renouvelables d’énergie ?

Luc Pauwels : « Absolument pas. Quelques chiffres pour expliquer. Si l’on compare la Belgique avec l’Allemagne, plus grande il est vrai : notre voisin possède 22.000 éoliennes, alors que nous n’en avons que 300. Les Pays-Bas, de taille comparable à notre pays, possèdent 2.200 éoliennes. Ils ont construit entre 70 et 80 éoliennes rien que l’an passé. Nous en avons construit 27 nouvelles au cours des trois dernières années. La Belgique est donc à la traîne. En étant très optimiste, on peut dire que 6% de notre électricité vient de sources renouvelables (soleil, vent et eau) ».

Les turbines éoliennes sont nées en Belgique

Luc Pauwels précise qu’au début des années 1980, la Belgique a pourtant été la plus performante en matière d’énergie éolienne. Notre pays possédait en effet à l’époque la seule usine de construction des turbines, qui ont été inventées en Belgique. Mais sur le plan de l’énergie éolienne, la Belgique a entretemps été rattrapée par d‘autres pays, « parce que notre gouvernement a continué à se concentrer sur l’énergie nucléaire ».

« Dans les années ’70 et ’80, nos gouvernements se sont endormis. L’électricité provenant des centrales nucléaires résolvait le problème de la crise pétrolière. Mais nos dirigeants ont réalisé trop tard que notre économie prenait de l’ampleur et nécessitait de plus en plus d’électricité. Et ils n’ont pas assez encouragé le développement d’énergies vertes ».

La population doit-elle être inquiète quant à la sécurité de nos centrales nucléaires ?

Luc Pauwels : « Je pense que nos centrales sont relativement sûres. Elles ne sont pas situées, comme au Japon, dans une zone menacée par des tremblements de terre ou des tsunamis. D’autre part, nous possédons un autre type de réacteurs, qui sont plus sûrs. Et puis il y a un fournisseur d’énergie qui domine tout le marché belge. C’est Electrabel, qui fait partie du géant français Gaz de France Suez ».

Quel est votre conseil pour une meilleure politique d’énergie en Belgique ?

Luc Pauwels : « Notre pays devrait, comme la plupart de nos voisins, recourir à des sources plus diversifiées d’énergie - énergie renouvelable, gaz et charbon. Pourquoi pas ? Aux Pays-Bas, on construit actuellement cinq nouvelles centrales au charbon. Ces centrales modernes sont nettement moins polluantes que les deux anciennes centrales qui sont encore en activité en Belgique. Mais chez nous, il serait politiquement très difficile de faire accepter la construction de nouvelles centrales au charbon. Et puis nous manquons de place pour cela. Le plus important pour la Belgique est d’y développer enfin une politique cohérente à l’énergie ».

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