"La politique de retour vers le Soudan appelle de la nuance"

Réagissant pour la première fois - dans un long message posté sur sa page Facebook - aux critiques dont fait l’objet le Secrétaire d’Etat Theo Francken pour des rapatriements de demandeurs d’asile en fin de droit vers le Soudan, le Premier ministre Charles Michel (photo) défend la politique migratoire "humaine" et "ferme" appliquée par son gouvernement, qu’il juge identique à celle pratiquée par d’autres pays européens. "Les points sur les i" a réagit Theo Francken via Twitter.

Souhaitant "mettre les points sur les i" avec le recul nécessaire à la suite de "campagnes de désinformation régulières", le Premier ministre Charles Michel souligne - dans un long message posté sur sa page Facebook - que la politique de retour en particulier vers le Soudan est un "sujet sensible qui appelle de la nuance" et qui "mérite mieux que les simplismes ou les caricatures dans un sens ou dans un autre".

"Tout d'abord, cette question est européenne", affirme le chef du gouvernement fédéral, en notant que "de nombreux pays appliquent la même politique". Selon lui, le Royaume-Uni, la France, l'Italie et la Norvège organisent également des missions techniques d'identification avec le Soudan.

En 2016, l'Italie a renvoyé 40 ressortissants soudanais, la Suède 15, l'Irlande 5. La Norvège en a renvoyé 60 entre 2015 et 2016, précise Charles Michel, citant l'Office européen des statistiques Eurostat. Il ajoute que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a commencé en décembre les rapatriements volontaires vers le Soudan, et indique travailler directement avec le gouvernement soudanais pour mener à bien ces opérations de réintégration.

"Le sens de la nuance et des responsabilités"

Dans son message, le Premier ministre déclara notamment que "le gouvernement applique depuis 3 ans une politique migratoire humaine et ferme. Il n’y a pas en Belgique de jungle de Calais sur la route de la Grande Bretagne. Tout est mis en œuvre pour qu’il n’y en ait pas. Il n’y a pas de situation non maîtrisée comme dans d’autres pays. Mettant en danger la cohésion sociale et alimentant toutes les formes d’extrémisme".

"Le gouvernement a pris ses responsabilités. Nous accueillons ceux qui sont dans les conditions du droit d’asile. Et nous travaillons sur le plan européen pour contrôler les frontières et éviter une situation d’appel d’air qui deviendrait rapidement ingérable. Malgré la grave crise de l’asile depuis 2015, la situation a été gardée en permanence sous contrôle dans notre pays. C’est le fruit de l’action coordonnée et résolue du gouvernement et de l’ensemble des services administratifs et policiers".

"La Belgique met un point d’honneur à respecter les obligations européennes et internationales. La politique menée est humaine et appuyée par le respect des décisions des juridictions administratives et judiciaires. Les campagnes de désinformation régulières m’amènent à mettre les points sur les "i". J’ai délibérément choisi de le faire avec le recul nécessaire", indique encore Charles Michel dans son message sur Facebook.

"Les décisions d’éloignement sont prises par l’Office des étrangers. À cette occasion, l’Office des étrangers est chargé de réaliser une analyse du risque éventuel de violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) interdisant les traitements inhumains et dégradants. Tout retour doit faire l’objet d’un examen de conformité à l’article 3 de la CEDH, cela a été confirmé par le Directeur général de l’Office des étrangers. Il a aussi précisé que les retours n’ont pas lieu vers des régions jugées dangereuses par le CGRA. Concrètement, suite à la mission technique d’identification, l’Office des étrangers a décidé du renvoi de 9 ressortissants soudanais (un départ volontaire, trois sans escorte et cinq avec escorte)". (…)

Soulignant que "les personnes concernées, pour la plupart, trompées par des passeurs sans scrupules, choisissent de ne pas introduire de demande d’asile en Belgique parce qu’elles souhaitent se rendre au Royaume-Uni", Charles Michel indique en outre que "la Belgique assume largement sa part de solidarité dans un souci de dignité et d’humanité. La protection internationale a en effet été accordée chez nous à (source: CGRA)10.783 personnes en 2015, 15.478 personnes en 2016 et 12.679 personnes de janvier à novembre 2017. En outre, le gouvernement depuis 3 ans délivre bien davantage de visas humanitaires que sous les législatures précédentes : 1.616 en 2017 jusqu’à fin septembre ; 1.185 en 2016 ; 849 en 2015 (contre 208 en 2014 ; 270 en 2013 ; 211 en 2012 ; 270 en 2011 et 357 en 2010)".

(…) "La presse a rapporté des faits de maltraitance et de torture lors de retours au Soudan. Mesurant la gravité de ces allégations, le lancement d’une enquête a été immédiatement décidé. Elle doit être indépendante et à dimension européenne et internationale. Il s’agit de faire la clarté et de permettre l’information transparente pour le Parlement. Ce n’est - fort logiquement - qu’après le résultat de cette enquête que les appréciations politiques pourront être évaluées en connaissance de cause. Dans l’attente des résultats, espérés pour janvier, j’ai annoncé qu’il n’y aurait pas de rapatriements vers le Soudan". Et le Premier ministre de conclure plusieurs paragraphes plus tard que son gouvernement "maintiendra le cap pour une politique humaine et ferme. Avec le sens de la nuance et des responsabilités".

Le Secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration, Theo Francken (photo), a réagi sur Twitter à ce message du Premier ministre, avec ces mots : "Les points sur les i" et un pouce vers le haut en signe d’approbation.

Les frères Dardenne appellent au départ de Francken

Le long message de Charles Michel sur Facebook survenait peu après la publication, ce mardi, dans les pages des quotidiens De Standaard et Le Soir d’une carte blanche des réalisateurs Jean-Pierre et Luc Dardenne (photo archives).

"Le moment est grave parce qu'il concerne un principe que tout État de droit se doit de respecter: on ne peut rapatrier des demandeurs d'asile dans un État pratiquant la torture, dans un État où la torture pour ces rapatriés est possible". Dans cette lettre adressée au Premier ministre Charles Michel, les deux cinéastes s'offusquent de la gestion du dossier soudanais par le gouvernement fédéral, et demandent ouvertement à son chef de forcer à la démission le Secrétaire d'Etat Theo Francken (N-VA).

"Si votre gouvernement avait le sens de la responsabilité politique, il aurait déjà demandé, c'est-à-dire obligé, son Secrétaire d'État à l'Asile et à la Migration de démissionner sans entrer dans des discussions relatives à des enquêtes dont les résultats seront toujours contestables, ou à ses erreurs, fautes, manquements déontologiques, mensonges", entament ces deux figures majeures du cinéma belge.

"Pourquoi votre gouvernement ne prend-il pas cette décision?", s'interrogent-ils, apportant sans attendre un élément de réponse, "trop évidente": "vous, Monsieur le Premier ministre et la majorité de votre gouvernement, donnez raison au Secrétaire d'État concernant le rapatriement des réfugiés soudanais ou plus précisément n'osez pas lui donner tort car la question des migrants est électoralement sensible, beaucoup trop sensible".

Faisant le constat d'un "pur calcul électoral", et d'un "manque de courage politique", les frères Dardenne ont tenu à dire leur "incompréhension" et leur "colère de citoyens". Alors que Theo Francken a encore souligné dimanche sur la chaîne VTM qu'il ne comptait nullement quitter son poste, l'appel des frères Dardenne vient notamment renforcer la récente sortie du président du CD&V Wouter Beke, et les appels à la démission relayés samedi par quelques centaines de manifestants à Bruxelles.

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