Edito: "Albert II vote Elio (Ier)"

Le dernier discours d’Albert II est extrêmement politique. Le Roi fait tout pour bétonner la fameuse échéance électorale, en dopant, célébrant, valorisant, encourageant ces hommes et femmes de bonne volonté qui vont encore devoir œuvrer à gouverner ce pays. Un éditorial de Béatrice Delvaux (Le Soir).

Albert II ne sera pas là en 2014, pour soutenir les partis traditionnels qui se sont battus et qu’il a accompagnés, voire "protégés", en 2010-2011 dans le maintien d’une Belgique unie et la poursuite d’une gestion faite de compromis au service du vivre ensemble. Mais dans son dernier discours, il fait tout ce qu’il peut déjà pour bétonner la fameuse échéance électorale, en dopant, célébrant, valorisant, encourageant ces hommes et femmes de bonne volonté qui vont encore devoir œuvrer à gouverner ce pays.

Il n’y a pas de provocation ouverte dans son texte, mais elle est subliminale, à chaque ligne, pour tout nationaliste de la N-VA qui l’entendra. Quand le Roi évoque de "très nombreux" hommes politiques – pas tous donc, suivez mon regard - qui ont montré du "dévouement", "le sens du compromis constructif", lorsqu’il cite ses rencontres avec des "responsables politiques qui ont le sens de l’intérêt général dans des circonstances difficiles", quand il vante le "pluralisme qui constitue une richesse démocratique précieuse", ce n’est pas le visage de Bart De Wever qui apparaît spontanément dans notre imaginaire, mais celui d’Elio Di Rupo.

Tous ceux qui, au gouvernement, travaillent à faire tourner la boutique Belgique sont évidemment visés, mais le fait que le visage d’Elio Di Rupo apparaisse carrément deux fois en gros plan à l’écran pour illustrer le discours (choix du Palais, donc), a de quoi faire sursauter. Voilà en tout cas qui va faire jaser et pester dans les autres familles politiques. Quasi de quoi mettre en porte à faux, la RTBF qui interdit le placement de produit…

Albert II vote Elio – il sera très difficile après avoir "vu" le discours de dire le contraire - , et bien évidemment aussi Elio Ier, plébiscitant ce gouvernement qui donne un "souffle nouveau" à la Belgique. Voici qui va achever de fâcher la seule opposition réelle à toutes ces réformes, qui trouve que dans "la coalition, rien n’est bon", au contraire du Roi qui salue ses réalisations dans le détail (budget 2013-14, statut unique employé-ouvrier, l’approvisionnement en électricité et la réforme de l’Etat).

De quoi pour la N-VA jouer les vierges outragées, estimant comme à Noël dernier, que le Roi montre par l’allusion qu’il a choisi son camp ? Il n’y a en soi rien dans ce discours de surprenant ou de neuf. Albert II se met dans la droite ligne des convictions exprimées depuis 20 ans, avec au top de ses priorités, la cohésion de la Belgique, vitale dit-il "pour la qualité du vivre ensemble et la préservation du bien être". Mais soyons objectif : ce discours est extrêmement politique. Après celui du 21 juillet 2011, c’est même peut-être le plus politique, via la mise en évidence des convictions, le tri des hommes politiques selon qu’ils sont valeureux ou non, l’affichage de préférences, même européennes.

S’il ne portait pas des valeurs que nous partageons sur l’unité belge, la vertu du pluralisme, du compromis, la nécessité du projet européen mais moins budgétaire, la protection des plus faibles, nous serions plus sévères sur cette neutralité politique qui n’est ici pas respectée. D’autant que nous ne sommes aujourd’hui ni en crise grave, ni en déchirement de longue durée.

Trop engagé, le discours? Albert II joue sur du velours: qui va lui faire des reproches pour sa dernière intervention publique et quand bien même, quelle conséquence ? Il s’en va et a trouvé plus important de laisser son testament pour sa Belgique. Cela en dit beaucoup sur ce Roi simple, mais qui au fil des années, est devenu un farouche militant de convictions claires sur l’avenir belge et sur le type de société qu’il chérit. Un Roi, arrivé sur le trône avec l’image d’un dilettante, amateur des plaisirs de la vie, mais qui sort de règne, impressionnant de gravité personnelle et du sens de ses responsabilités.

Qu’en fera Philippe ? Tous ceux qui plaident pour une monarchie protocolaire veilleront à ce qu’il s’engage le moins possible, sortant du "moralisme" de son père. Mais ce sont le caractère du personnage et l’évolution des événements politiques qui vont en décider. Cela sera extrêmement intéressant à suivre, notamment dans le face à face entre le nouveau Roi et la N-VA en 2014. Le rôle de "superviseur" royal dévolu au Premier ministre risque, lui, de prendre un coup au passage : certains peuvent sans doute estimer qu’il y a risque d’abus de "position privilégiée" dans le chef du Premier ministre, via son accès exclusif au Roi.

 

Source: Article publié ce 20 juillet 2013 sur le site internet du quotidien Le Soir

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