23 août 1914: les massacres de civils belges scandalisent le monde

Exécutions de masse, incendies, pillages systématiques: les troupes allemandes qui se ruent vers la France à l'été 1914 se livrent à d'innombrables exactions contre les populations civiles en Belgique, faisant des milliers de victimes qui vont scandaliser le monde occidental et y alimenter durablement la propagande sur la "barbarie" allemande.

Un siècle plus tard, le souvenir de ces violences, qui firent voler en éclat les conventions de l'époque sur le droit de la guerre, hante encore certaines villes martyres comme Dinant, où, le 23 août, 647 habitants furent sommairement exécutés par les forces du Kaiser qui incendièrent ensuite les trois quarts de la ville.

Après avoir franchi la frontière le 4 août, faisant fi de la neutralité du royaume, les Allemands sont confrontés à une résistance belge plus forte que prévue et s'exaspèrent de voir s'évaporer leur espoir de fondre rapidement sur Paris.

Pilonnant des places fortes comme Liège (est) et Namur (centre), objectifs militaires stratégiques, ils procèdent au passage à de premières exécutions sommaires de civils, qu'ils accusent d'avoir pris les armes. Des accusations que la plupart des historiens jugent aujourd'hui infondées, et mettent sur le compte d'une obsession allemande des "francs-tireurs" remontant à la guerre franco-prussienne de 1870.

Après dix jours de campagne, l'avant-garde allemande a remonté la vallée de la Meuse et est aux portes de Dinant. Le 15 août, une confrontation a lieu entre les troupes allemandes et françaises, appelées en renfort par le gouvernement belge. Un jeune lieutenant français, Charles De Gaulle, est blessé lors de ces combats. Mais la population est pratiquement épargnée.

Une semaine plus tard, lorsque 30.000 soldats allemands reviennent pour percer la ligne de défense française, les Dinantais ne s'inquiètent donc pas outre mesure.

Dans les rangs de soldats épuisés et accablés par la chaleur, officiers et hommes de troupe sont persuadés que, depuis leur entrée en Belgique, des civils ont pris les armes contre eux, que des femmes coupent les mains ou crèvent les yeux de leurs blessés. Il ne s'agit que de rumeurs mais, à Dinant, elles vont provoquer une vengeance à nulle autre pareille.

Le massacre des innocents

Vers 10H00, le 23 août, 43 hommes qui avaient été rassemblés dans l'abbaye de Leffe, dans les faubourgs de la ville, sont amenés le long d'un mur, rappelle Michel Coleau, archiviste de la ville. "Ils sont fusillés dans le dos, car les Allemands les considèrent comme des francs-tireurs".

Mais les pires tueries auront lieu en fin d'après-midi. Vers 18H00, 150 hommes sont alignés sur quatre rangs face à une double rangée de soldats. "Un lieutenant-colonel monté sur un cheval donne l'ordre de l'exécution sommaire. 116 hommes vont tomber", raconte M. Coleau. Sur place, un monument évoque encore la "furie teutonne", malgré une réconciliation avec l'Allemagne scellée en 2001.

Ce même soir, à quelques centaines de mètres de là, les Allemands, pris sous le feu de l'artillerie française et "paniqués", fusillent à bout portant 77 femmes, hommes et enfants. "La plus jeune victime est une fillette de trois semaines, achevée à la baïonnette", explique encore Michel Coleau.

L'armée française, qui tenait l'autre rive de la Meuse, n'est pas intervenue pour empêcher ce qui depuis porte le nom de "massacre des innocents".

Au total, 647 Dinantais perdent la vie pendant cette seule journée. Le lendemain, les Allemands incendient 750 bâtiments, sur le millier que comptait Dinant, dont la cathédrale et l'Hôtel de ville. Des photographies géantes, placées sur les lieux même des faits à l'occasion du centenaire du massacre, rendent compte de l'ampleur du désastre.

Plus au nord, à Louvain, les Allemands, pris par la même obsession des francs-tireurs, procèdent le 25 août à de nouvelles exécutions de masse (près de 250 victimes) et détruisent par le feu 2.000 immeubles, dont la prestigieuse bibliothèque de l'université et ses 300.000 manuscrits et ouvrages anciens.

Des violences qui entraîneront une avancée du droit humanitaire

"C'est le commencement de la guerre totale, qui vise des civils non combattants et aussi des trésors culturels. Selon les Allemands, c'était une expédition punitive (...) mais je suis convaincu que c'était de la terreur organisée pour intimider la population civile, pour terroriser les habitants des territoires récemment occupés et pour démoraliser la résistance militaire de l'armée belge", estime l'archiviste de Louvain, Mark Derez.

Ces massacres de civils, qui feront quelque 6.500 morts sur l'ensemble du royaume, créent une "peur terrible" en Belgique, explique Sophie Soukias, chercheuse au Centre d'études Guerre et Civilisations contemporaines à Bruxelles.

Relatées par de nombreux journalistes de pays neutres présents sur le terrain, les atrocités allemandes, qui touchent aussi Visé, Tamines, Andenne, Termonde ou Aarschot, font immédiatement scandale au-delà des frontières. La propagande des Alliés s'en servira abondamment pour dénoncer la "barbarie" allemande et tenter de convaincre des pays restés neutres, comme les Etats-Unis et les Pays-Bas, d'entrer en guerre à leurs côtés.

Paradoxalement, ces violences à grande échelle entraîneront une avancée du droit humanitaire. Les massacres de masse sont une flagrante violation des conventions internationales -- Genève, La Haye -- censées, déjà à l'époque, protéger les non-belligérants. Bien que non respectées, ces règles vont être invoquées après la guerre pour demander des comptes aux responsables.

"Aujourd'hui, cela nous semble naturel qu'à partir du moment où il y a eu un crime de guerre, il faut sanctionner et réparer, mais à l'époque, c'était nouveau", explique Sophie Soukias. Malgré cet "acquis", ajoute-t-elle, "on peut se demander jusqu'à quel point ces conventions sont mieux respectées" en 2014 qu'en 1914.

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